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mardi 20 septembre 2022

La santé en bande organisée.

 

310 pages - 20,5 €

Je me suis jeté avec gourmandise sur le livre.

Pour des raisons personnelles, je connais à la fois le milieu de l'industrie pharmaceutique et celui de l'Agence du médicament.

Disons : j'ai connu il y a quelques années et au moment des faits.

(Lien d'intérêt : j'ai eu, avant la rédaction de ce billet, l'auteure du livre au téléphone...) 

En tant que connaisseur de l'affaire Mediator et d'autres affaires, j'ai peu appris mais ce que j'ai lu m'a fait plaisir : enfin ! Enfin des informations publiques sur ce monstre de Saint-Denis, sur ce mammouth administratif et bureaucratique que l'industrie pharmaceutique considérait comme open bar. Enfin des choses concrètes sur la corruption des fonctionnaires par le laboratoire Servier. Ici les auteurs ne parlent presque que de Servier parce qu'il s'agit de l'affaire Mediator mais quelques prises de chemin de traverse (ananxyl ou l'affaire de Rennes) impliquent d'autres firmes. Des firmes françaises car l'Agence avait pour mission de les favoriser, de leur faciliter la tâche, de sauver des emplois, d'assurer du chiffre d'affaires, d'améliorer la balance des paiements. Les firmes étrangères faisaient elles leur business à Londres (EMA) et à Bruxelles (Commission européenne).

J'ai quand même appris des trucs... Et le fait d'énumérer les faits (et, honnêtement, sur cette affaire, les deux auteurs auraient pu écrire neuf cent pages, ce qui aurait été contre-productif pour la vente du livre et pour la compréhension des mécanismes), de citer les personnes, d'aligner les preuves, de désigner des coupables, des personnes "pas bien", de circonscrire les réseaux, de donner les chiffres exacts de la corruption par l'argent, cela fait plaisir.

On y apprend que Servier c'était (c'est ?), un laboratoire pharmaceutique voyou, avec des méthodes de voyous et des méthodes de barbouzes. Et qu'il était intégré dans l'appareil d'Etat. Comme un poisson dans l'eau. Le livre raconte les intimidations, légales (par l'intermédiaire d'avocats) et illégales (menaces physiques, menaces sur les enfants de l'auteur, menaces de l'auteure pendant son séjour à la maternité...)

Pour des raisons mystérieuses il existe dans cette Agence des minables, des corrompu.e.s, des petits esprits, des égoïstes, des carriéristes, des gens minuscules, des gens malhonnêtes, des individu.e.s qui obéissent à des ordres venus d'en haut, des faux-culs, des méchant.e.s, des khons et khonnes.

A moins de penser qu'à l'Agence il est de bon ton de n'embaucher que des gens médiocres qui seront les bons petits soldats ou qu'il est prudent de coopter des crétins de son style, la fameuse endogamie de la haute administration française, pour qu'aucune tête ne dépasse, mais, est-ce crédible ?

La litanie des membres de l'Agence dont la femme (et plus rarement le mari) sont peu ou prou des employées de Servier ou de l'industrie pharmaceutique ne cesse d'interroger. Entre-t-on à l'Agence, à titre interne ou externe, parce que quelqu'un de sa famille travaille pour Servier ou Servier avait-il le pouvoir de faire entrer à l'Agence le conjoint d'une employée de Servier ? Quant à la proximité, pour ne pas dire plus, entre Servier et l'Assistance publique des hôpitaux de Paris ?

La question qui se pose, car l'auteure expose avec précision les pots de vin versés, Gérard Friedlander, Claude Griscelli, Marie-Germaine Bousser, Jacques Massol et François Lhoste, tous deux membres du Comité économique pour les produits de santé et de la Commission de la transparence (!) qui ont reçu de respectivement de Servier 5,5 millions de francs et 15 à 18000 euros par an, Jean-Michel Alexandre, Bernard Rouveix, Michel Detilleux (721 500 euros), Jean-Roger Claude (dont la femme était directrice de la toxicologie chez Servier), Charles Caulin...

La partie enquête journalistique, la partie, ce qui se passe dans les rédactions, les jeux de pouvoir plus classiques, les avocats, est très informative mais stupéfiante. La personnalité d'Etienne Mougeotte détonne dans cette affaire : il nous déçoit en bien. La collaboration étonnante entre Le Figaro et Mediapart... selon les dires d'Anne Jouan on a l'impression que les journalistes sont plus sérieux que les médecins.

Ainsi, le professeur Christian Riché, alias Monsieur Rungis, dont je dirai un ou deux mots plus tard, pharmacologue et pharmacovigilant brestois, taille des costards à nombre de personnes. Je remarque qu'il conteste l'autosatisfaction des pharmacovigilants français, les meilleurs du monde, tous ces personnages issus de l'école Dangoumeau (l'imputation à la française), l'école bordelaise, qui ont failli et qui ont pris les autres pour des imbéciles. On entend parler du professeur Molimard (dont je peux témoigner à la fois de la suffisance et de l'insuffisance) et de ses accointances pharmaceutiques, du Toulousain Montastruc (le pharmacovigilant référence de la Revue Prescrire, fils de son père et père de son fils), qui ne moufta pas en Commission nationale de pharmacovigilance (information personnelle) lorsqu'il fallait arrêter la commercialisation du Mediator, et cetera. Mais surtout de la papesse de cette même pharmacovigilance, Anne-Marie Castot aux pouvoirs invraisemblables dans l'Agence et qui a joué un rôle crucial et malfaisant, sous les ordres de Jean-Michel Alexandre...
Sans oublier madame Carmen Kreft-Jaïs, pharmacovigilante en chef, qui prit Irène Frachon pour de la merde dans le seul but de protéger Servier.

La question qui se pose est celle-ci : sont-ils tous pourris ? La question qui se pose est : qui tire les ficelles ?

Le lecteur comprendra qu'il existe des cercles, des amis qui ne se lâchent pas, on se croirait dans un film de Scorsese, le cercle Veilien, avec Bader, Alexandre, Buzyn (qui n'était pas dans l'affaire Mediator) et consorts. Le cercle kouchnérien avec Tabuteau, Morelle, et autres...

Il est dommage qu'Anne Jouan n'ait pas disposé de taupes au Ministère de la santé et à la Direction générale de la santé parce que, Mesdames et Messieurs, c'est là que tout se passe, c'est là que tout se tramait. Les directeurs successifs de l'Agence, qui ont tous, ou presque, été choisis pour leur médiocrité, pour leur sens du devoir, c'est à dire leur capacité inébranlable à avaler des couleuvres, se coucher, tout accepter, ne pas se préoccuper des malades, et cetera, n'avaient aucun pouvoir sauf celui d'aller prendre des instructions au Ministère. Alors : pourquoi le Ministère ? N'oublions pas que les différents et successifs Directeurs généraux de la santé de la période ont été nommés à leur poste, non en raison de leurs capacités scientifiques et/ou organisationnelles mais pour services rendus et service à rendre.

Le poids de la santé en France est considérable : le lobby santéo-industriel représente en valeurs plus que le lobby militaro-industriel ! Le Ministère de la santé, et gageons que la nomination d'un ministre ne se fait pas au mérite, sinon, nous n'aurions pas eu à subir Roselyne Bachelot, Marisol Touraine, Agnès Buzyn, Olivier Véran ou Frédéric Braun, s'intéresse à l'industrie pharmaceutique et à celle des matériels. Servier, mais aussi Sanofi, et les autres groupes français l'ont bien compris et ils ont (et continuent donc) de laisser trainer de l'argent partout, de donner de l'argent pour des congrès bidons ou non bidons, de financer des formations professionnelles, de rémunérer des expérimentateurs d'essais cliniques ascientifiques, d'arroser les sociétés savantes...

On apprend par le professeur Christian Riché, alias Rungis, l'informateur, le whistle-blower, qui a permis l'écriture du livre, que les réunions régulières de pharmacovigilance avec les grands patrons et les sous-fifres, étaient payées par Servier !

Tous pourris ?

Tous les passages sur l'IGAS font frémir et, notamment, la personnalité d'Aquilino Morelle, probablement un sale type. Comment l'IGAS est un instrument politique et que ses enquêtes, ses décisions, sont influencées et non neutres.

Bon, cela vous a donné envie de lire ?

Un bémol : la personnalité de l'informateur, Rungis, m'a un peu gêné.

Son courage est évident : il fallait d'abord informer de l'intérieur au risque de se faire prendre, il fallait résister aux menaces, il fallait se montrer, donner son véritable nom, qui l'a fait ? Qui a osé ces dernières années ? 

Mais, dans l'exposé des faits il fait preuve de naïveté (les cadeaux qu'il a reçus, les avantages en nature...) et il se donne le beau rôle. 
C'est un plaidoyer pro domo écrit parfois avec les pieds et parfois avec beaucoup de naïveté. Ou de fausse naïveté. Il est par ailleurs assez incompréhensible qu'un pharmacologue ait mis autant de temps à comprendre la structure chimique du benfluorex.

Mais il ne faudrait pas désespérer les bonnes volontés.

Il faut bien entendu féliciter Anne Jouan pour sa persévérance en milieu hostile, son enthousiasme, son courage professionnel, et sa façon agréable et précise de raconter l'affaire.

Bonne lecture.


PS : Raoult est cité trois fois pp, 265, 385 et 386

jeudi 24 août 2017

L'affaire Levothyrox.


A la demande de l'ANSM (voir ICI) les laboratoires Merck ont changé la formule du médicament Levothyrox.

Voici les justifications de l'ANSM :
"Afin de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active (lévothyroxine) tout le long de la durée de conservation du médicament, le laboratoire Merck a réalisé, à la demande de l’ANSM, une modification de la formule de Levothyrox. La substance active reste identique. Cette nouvelle formule sera mise à disposition dans les pharmacies à compter de la fin du mois de mars 2017.Ces modifications ne changent ni l’efficacité ni le profil de tolérance du médicament. Toutefois, par mesure de précaution face à toute modification, et bien que la bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule ait été démontrée, l’ANSM préconise, pour certains patients, de réaliser un dosage de TSH quelques semaines après le début de la prise de la nouvelle formule.Par ailleurs, les couleurs des boîtes et des blisters vont être modifiées: une attention particulière des professionnels de santé et des patients devra être portée lors de la phase de transition pour éviter les erreurs.
"
Il est donc prouvé que des excipients sans effets notoires peuvent entraîner des problèmes de bio-équivalence, dans ce cas il existerait une baisse de la teneur en levothyroxine entre le moment où le médicament est commercialisé et la date de péremption.
C'est quand même une drôle de nouvelle !
La rhétorique généricante en prend un coup mais il s'agit, précisent les autorités, d'un domaine où la marge thérapeutique est étroite. Hum.
Mais surtout : la rhétorique généricante a comme leitmotiv que les excipients à effets non notoires, voire notoires, ne produisent rien et sont des lubies des patients... 
Le problème ne date pas d'aujourd'hui puisque des sociétés savantes nord-américaines avaient signalé le problème dès 2003 lors de la générication du Levothyrox outre-Atlantique (il est vrai qu'il faut toujours se méfier des sociétés savantes qui s'opposent aux génériques car elles sont souvent animées des meilleures intententions du monde, je veux dire l'argent de Big Pharma qui veut dissuader les prescripteurs d'utiliser des génériques). Je n'y avais pas attaché une importance particulière à l'époque et pour deux raisons : la première venait de ce que je croyais encore, certes avec des réticences (boîtage, aspect, goût des génériques par rapport au princeps), à la pertinence économique du concept (néo libéral, entre parenthèses, je croyais qu'il était de gôche) et la deuxième parce que je n'avais pas encore pris conscience du désatre que cette générication pouvait produire en termes de consumérisme, de banalisation du médicament, d'arrogance médicale, de mépris du patient/consommateur et de je-m'en-foutisme. 


Pour le reste, le communiqué de l'ANSM est un tissu d'affirmations toutes aussi peu fondées les unes que les autres et que les faits démentent abondamment aujourd'hui puisque les utilisateur.e.s (désolé pour cette épicènie dévastatrice) se plaignent d'effets indésirables et que les autorités conseillent de nouveaux dosages de TSH. Je rappelle simplement une phrase : "Ces modifications ne changent ni l'efficacité, ni le profil de tolérance du médicament" Qu'est-ce que l'ANSM en sait ? Il s'agit d'un discours qui amplifie la possibilité d'effets indésirables puisque comme il ne doit pas y en avoir et qu'il y en a, tout est possible : hystérie collective, complotisme, moqueries à propos des patient.e.s, culpabilisation, arrogance des prescripteur.e.s (ceux qui savent), et cetera.

Quant à ceux qui pensent (il y a quand même des inconscients) que la pharmacovigilance viendra à bout de ce problème, je rappelle que la pharmacovigilance passe à côté de tout et de l'important et ce, d'autant plus désormais, que l'agence européenne (la fameuse directive européenne) a délégué la pharmacovigilance aux industriels.

Je lis un article dans le journal Le Figaro (LA), dont un éminent expert écrit : "Excellente interview d'une patiente-experte dont le point de vue est crédibilisé par son absence de lien $$ avec le fabricant !" et dont la patiente-experte dit que c'est le seul article, je cite, "valable" sur la question (sans doute que l'absence de lien avec le fabricant ne va pas jusqu'à l'absence de lien non financier avec le journal). Il est vrai que l'on y apprend des choses surprenantes. Je vous laisse lire, cela vaut son pesant de cacahuètes.

JP Rivière fait un résumé exact et neutre de ce qui s'est passé (sans parler des génériques) : ICI.
Le pharmacien, dont on connaît les liens d'intérêts avec big pharma, écrit un truc sans intérêt mais parle de l'information des patients et en remet une couche sur l'incompétence des médecins : LA.


Il est possible de poser ces questions.
  1. Fallait-il vraiment changer la formule ? 
  2. Etait-ce une demande des patient.e.s ?
  3. Etait-il judicieux de changer la formule d'un médicament qui serait prescrit, selon l'Agence, à 3 millions de personnes en France, sans informer au préalable de façon utile, appropriée, et convaincante, les prescripteurs et les utilisateurs ?
  4. Etait-il impossible de prévoir que des effets indésirables, fussent-ils mineurs, puissent apparaître avec 3 millions de patients et dans une pathologie où non seulement la marge thérapeutique est étroite mais où (cf.point 9.) les variations intraindividuelles sont très fortes avec le même médicament dans le même boîtage ? Imaginons qu'une diarrhée apparaisse chez 1 % des patients, cela signifie donc 30 000 patients se plaignant de diarrhée... Où l'Agence avait-elle la tête ? Existe-t-il des services de pharmacovigilance suffisamment armés pour traiter un tel afflux de données ? 
  5. Existait-il des données solides sur les effets indésirables rapportés avec l'ancienne formule ?
  6. Existait-il des publications sur les effets secondaires du mannitol et de l'acide citrique à doses non significatives ?
  7. Est-ce raisonnable d'attribuer des effets indésirables à un éventuel mécanisme d'action (je parle pour la patiente experte...) ?
  8. Est-il sensé d'affirmer (je parle pour une des associations de patients) que le médicament Levothyrox est devenu "dangereux" ? La pétition pour le retour à l'ancienne formule est un modèle de désinformation (voir LA) qui pourrait faire croire que les rédacteurs de l'ANSM et ceux de la pétition proviennent du même moule idéologique.
  9. Faut-il remettre en cause l'idée consensuelle (ou presque) selon laquelle les génériques ne peuvent entraîner d'effets indésirables significatifs ? Car, dans le cas de Levothyrox, la nouvelle formule est stricto sensu un princeps générique du princeps.
  10. Pourquoi, à cette occasion, ne pas avoir rappelé que la prise, l'horaire de prise, la possible interférence avec le bol alimentaire, sont des facteurs déterminants pour l'absorption et donc la bio-disponibilité de la molécule ? Et que ces modifications de prises et de bol alimentaire peuvent entraîner des variations de TSH tout en continuant de prendre le même médicament du même lot ? Les endocrinologues le savent. Les médecins généralistes le savent également.
  11. Pourquoi ne pas informer sur le fait que les indications cliniques de prescriptions rendent compte de situations extrêmement différentes ? Une substitution post thyroïdectomie chirugicale pour cancer (le sur diagnostic, le surtraitement, voir LA) n'est pas de même nature que la prescription de levothyrox au cours de l'équilibration d'un Basedow ou lors d'une dysthyroïdie liée à l'amiodarone...
  12. Quid des génériques de Levothyrox dont on sait qu'ils posent des problèmes de biodisponibilité depuis la générication aux Etats-unis d'Amérique en 2003 (cf. supra) ? On rappelle que le générique Teva a été en France retiré du marché pour des problèmes de stabilité.
  13. Pourquoi, à cette occasion, ne pas s'interroger sur le sur diagnostic et sur le sur traitement par Levothyrox ? 
  14. Pourquoi parler du rôle délétère des medias alors que les medias ne sont là qu'en bout de processus et qu'il est normal qu'ils n'en sachant pas plus que les experts de l'ANSM ?

Les experts de l'Agence auraient dû se rappeler, mais lisent-ils autre chose que la littérature qui leur brosse le poil dans le bon sens ?, qu'il y avait eu un précédent que j'ai décrit abondamment en 2010 sur ce blog : LA. Un certain nombre des faits qui sont décrits aujourd'hui était déjà expliqué (pardon pour cette auto-citation). Le texte du billet de 2010, non modifié, est en italique.

Les faits et leurs commentaires dans le BMJ.

  1. Jusqu'à 2007 les 70000 Néo-Zélandais qui avaient besoin d'un traitement hormono-substitutif par la thyroxine se voyaient prescrire de l'Eltroxin commercialisé par les laboratoires GlaxoSmithKline (GSK) et cela faisait trente ans que cela durait. GSK décide en 2007 de transférer l'usine de fabrication d'Eltroxin du Canada vers l'Allemagne. A cette occasion le contenu des excipients change et l'aspect de la nouvelle formulation n'est plus la même pour le gravage, la taille et la couleur. Selon certains rapports, disent les auteurs néo-zélandais, le goût et la vitesse de dissolution sur la langue changent aussi. Quant au principe actif, la thyroxine, il reste inchangé et continue à être fabriqué en Autriche (nous vivons une époque formidable !). La nouvelle formulation est donc désormais délivrée aux patients à partir de 2007 2008 et le taux de signalement d'effets indésirables est multiplié par 2000. Il est à signaler qu'il n'y a pas d'autre formulation proposable aux patients. On passe, disent les auteurs, de 14 notifications en 30 ans à 1400 en 18 mois. Qu'est-il arrivé ? 

  2. Les effets indésirablesLeur fréquence : les premiers effets indésirables ont été rapportés en octobre 2007, il y en avait 294 en juillet 2008 et le pic (492) a été atteint en septembre 2008 pour décroître ensuite : 177 en octobre et 21 en novembre. Il est à noter que dans les autres pays où la substitution s'était faite il avait été noté une augmentation des effets indésirables mais sans commune mesure avec ce qui se passait en Nouvelle-Zélande. Leur nature : à peu près la moitié d'entre eux (prise de poids, fatigue, myalgies, arthralgies et dépression) peuvent être rapportés à l'hypothyroïdie mais pour d'autres fréquemment rapportés, cela n'est pas le cas : conjonctivite, douleurs oculaires, maux de tête, prurit, éruptions cutanées, vision anormale ou trouble, nausées, troubles digestifs.
  3. Analyse des causesFacteurs intrinsèques. L'Agence néo-zélandaise (Medsafe) a fait procéder à de nouvelles analyses de bioéquivalence qui ont conclu à une conformité acceptable de la nouvelle formulation et au fait que les excipients contenus étaient bien ceux annoncés par la firme. Les auteurs disent ceci : 5 % des effets pouvaient en théorie être attribuables à la nouvelle formulation. Pas plus. Facteurs externes. a) La substitution de formule s'est produite à un moment où l'on accusait l'Agence néo-zélandaise gérant le budget de la santé (Pharmac) de casser les coûts. b) Des bruits sur le Web prétendaient que la nouvelle formulation était fabriquée en Inde, qu'elle contenait des OGM, et du glutamate. Le rôle d'un "champion". Un pharmacien d'une petite ville de Nouvelle-Zélande s'est fait l'avocat des patients souffrant d'effets indésirables liés à la nouvelle formulation, a été largement interrogé par les medias et a cherché à trouver un produit de substitution pour les soulager. les auteurs soulignent le rôle néfaste qu'un tel champion, professionnel de santé d'une petite ville s'opposant à Big Pharma, peut avoir in fine. Le rôle des médias. Les auteurs insistent sur la couverture journalistique de l'affaire, font des analyses géopgraphiques sur relations entre le nombre d'effets indésirables dans une région de Nouvelle-Zélande et le nombre d'articles de journaux publiés localement. Ils citent une comédie musicale à succès parlant de malfaçons de médicaments en Inde. Ils citent le web et ses rumeurs, ses fausses informations mais, paradoxalement, ne font aucune mention du quantitatif, ce qui ruinerait leurs inférences locorégionales. Le facteur patient. Les auteurs parlent de labilité émotionnelle chez les patients hypothyroïdiens et donnent des informations très mécanicistes et assez peu respectueuses des plaintes des patients.
  4. Les conclusions des auteurs : méfions-nous à l'avenir des changements de formulation et de l'introduction des génériques qui peuvent induire des peurs chez les patients qui sont coûteuses pour les gouvernements et pour les patients impliqués.
J'avais fait des commentaires sur cet article et j'avais souligné, déjà, le mépris pour les patients.

Je voudrais souligner ici le grand mépris de cet article pour les patients qui sont au mieux considérés comme des victimes et, au pire, comme des crétins. 
Cette affaire est symptomatique, me semble-t-il, du rationnalisme considéré comme une science.
On remarque ici que la globalisation des marchés est une donnée qui ne semble choquer personne. Le principe actif est fabriqué en Autriche, les comprimés sont fabriqués en Allemagne et l'on ne nous dit pas d'où vient l'encre, combien de pétrole est dépensé pour les acheminements et si les travailleurs sont des immigrés ou s'ils sont fabriqués sur place, et cetera... C'est la rationnalisation du monde au moindre coût (apparent). 
Quant à la modification des excipients, il n'est pas inconsidéré de ne pas la prendre à la légère, bien que son influence puisse être extrêment minime. Mais elle peut être à la base d'une remise à plat des conditions de prescriptions. 
D'autre part, nos universitaires néo-zélandais n'ont jamais entendu parler, ni de l'effet placebo, ni de l'effet nocebo. 
Car, inférer à partir d'études de bioéquivalence, qu'il n'est possible d'expliquer que 5 % d'effets indésirables puisque la bioéquivalence est de 5 % est assez renversant. On rappelle à ces auteurs que l'effet placebo, en moyenne, quelle que soit la pathologie, est assumé à 30 % Le fait est têtu. C'est à dire que la prescription d'une molécule active, ici la thyroxine, si elle entraîne une amélioration moyenne de 70 % des symptômes, 30 % de l'amélioration est liée à l'effet placebo. 
Et ainsi, dans notre affaire, les patients, toutes choses égales par ailleurs, ont pu voir leur capital placebo partir en fumée en raison de leur incompréhension sur le changement de formulation, ses raisons exactes, sans compter les rumeurs et les canulars et l'ambiance générale de défiance qui pouvait régner en Nouvelle-Zélande.
Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis sur l'effet nocebo mais il n'est pas improbable de croire qu'il peut expliquer la flambée d'effets indésirables constatés après le changement de formulation, sans tenir compte des autres facteurs rapportés par les auteurs. N'oublions pas que le changement d'aspect, de goût, de vitesse de dissolution, sont des facteurs étudiés avec attention par l'industrie pharmaceutique pour mieux faire vendre ses produits et les faire mieux accepter. Il doit bien y avoir une raison. 
Les auteurs ont aussi oublié l'effet mimétique (ils ont décrit ses moyens mais pas son mécanisme) et nous leur conseillons, sur la Mimesis et le Désir Mimétique, de lire René Girard
Les auteurs ont aussi minimisé l'effet du web qui semble être un facteur déterminant dans la propagation des bruits et rumeurs, facteur désormais plus important que celui des medias traditionnels. 
Mais cet exemple d'école, tout autant que ce que je rapportais sur les Antennes Relais, rend la réflexion sur la générication de la médecine encore plus nécessaire. Nous ne pouvons faire l'économie d'un débat autre qu'idéologique sur les génériques, sur les procédures drastiques non appliquées, mais, plus généralement, sur l'inhumanisation des rapports médecins malades. 
Le malade n'est pas au centre des préoccupations du système de soins. Cet article en est le reflet.
A l'heure de la prescription en dci mise en place à la va-vite, comme tout ce que fait le gouvernement en matière de santé publique, pourquoi ne pas s'interroger sur la thyroxine néo-zélandaise ? 
Nous remercions les auteurs pour ce papier mais l'instruction n'est pas close.

Il est donc attristant de constater que des excipients sans effets notoires puissent provoquer des effets indésirables que les autorités pharmacovigilantes vont rapidement classer, comme ils classent les effets indésirables non sévères et non rapportables à un mécanisme d'action (classement vertical) et cette situation va entraîner une réaction en chaîne : 
  1. Comme les effets indésirables sont "impossibles", ils n'existent pas. 
  2. Comme les effets indésirables n'existent pas ils sont d'origine fantasmatique et hystérique (cela tombe bien la majorité des patients prenant Levothyrox sont des patientes).
  3. Les patient.e.s sont coupables.
  4. Les patients.e.s sont des nul.le.s
  5. Les prescripteurs (médecins) ont toujours raison même quand ils ne connaissent pas le sujet et, surtout, quand ils le connaissent.
  6. Les agences gouvernementales ont toujours raison et ne remettent jamais en cause leurs affirmations.
  7. Les associations de patients ne sont pas infaillibles, ne représentent parfois qu'elles-mêmes, et se tirent la bourre entre elles. 
Il serait donc temps que :
  1. Les autorités sachent que la médecine étant devenue consumériste il faut se mettre à l'heure du consumérisme.
  2. Les prescripteurs sachent que les patients ne sont pas des veaux et qu'il ne suffit pas de dire, "le principe actif est le même" pour que l'efficacité soit la même quel.le que soit le/la patient.e
  3. Les patients sachent qu'il n'existe pas de corrélation directe entre un taux de TSH et le bien-être d'un individu fût-il malade.
PS du 12 septembre 2017 : lire absolument le billet de Dominique Dupagne sur la bio-équivalence : ICI.

jeudi 3 janvier 2013

Pilules : quand l'ANSM montre sa triple incompétence et son ignorance


L'ANSM est bien embêtée. Voir son communiqué du 21 décembre 2012 : LA.
Elle est embêtée car l'irruption dans la presse grand public d'affaires tragiques (voir ICI) concernant la tolérance des pilules dites de troisième et / ou de quatrième génération (respectivement PG3 et PG4) chez les jeunes femmes sans facteurs de risque montre sa triple incompétence.
Rappelons-nous quand même que la notion même de pilule de troisième et / ou de quatrième génération n'est qu'un argument marketing. Rien de plus. L'industrie pharmaceutique a simplement commercialisé de nouvelles molécules pour augmenter le prix des pilules et pour augmenter ses marges.

Mais, braves gens, dormez sur vos deux oreilles, un Conseil d'Administration va bientôt être réuni sur le sujet : LA. Le grand docteur Maraninchi a fait des déclarations préliminaires, des coups de sonde dirait-on pour des professionnels coupés du terrain, et les grands sages envisagent : 1) De laisser la prescription des PG3 et des PG4 aux seuls spécialistes (Christian Lehmann suggérait, dans le même style, que le PSA ne puisse plus être prescrit que par les urologues et j'ajoute, les mammographies par les mammographies) ; 2) de dérembourser les PG3 (qui l'étaient déjà !)

Première incompétence : s'être fait avoir par Big Pharma et ses experts infiltrés au centre de l'appareil d'Etat (comme on l'a vu pour les coxibs, le mediator ou le pandemrix), mais comme toutes les agences internationales, sur l'intérêt et l'innocuité de ces nouvelles molécules.

Deuxième incompétence : ne pas avoir fait son travail de suivi de pharmacovigilance de ces nouvelles molécules en laissant le bébé aux industriels eux-mêmes.

Mais la troisième incompétence est encore plus grave. L'ASNM, dépassée et prise au dépourvu, a réagi à contre-courant en annonçant vouloir réserver la prescription des PG3 et PG4 aux seuls spécialistes. Et contre toute logique, comme nous allons le montrer.

Un rapport de l'HAS publié en 2012 (ICI) et qui nous a été signalé et commenté par Dominique Dupagne en son site (LA) analyse l'évolution des prescriptions des différentes pilules selon que les prescripteurs sont médecins généralistes ou spécialistes.


Ces chiffres ne sont interprétables qu'en fonction a) du nombre absolu de prescripteurs généralistes et spécialistes (les gynécologues médicales sont, selon cette source (ICI) 2100 et les gynéco-obstétriciens 5032. Versus 70 000 médecins généralistes. Soit une proportion de 1 sur 10 ; en fonction b) du nombre de primo-prescriptions (en langage marketing : initiation de la prescription) : en effet le poids des spécialistes hospitaliers ou libéraux est fort pour la patiente, il est plus facile pour un spécialiste de changer (autorité de l'expert) la prescription d'un généraliste que l'inverse.

Nous avons repris les chiffres bruts du rapport de l'HAS et les avons analysés ainsi.

Voici d'abord l'évolution globale des prescriptions de PG1, PG2 et PG3 entre 2009 et 2011.

Evolution globale des prescriptions de PG1, PG2 et PG3 entre 2009 et 2011


Ces chiffres montrent, finalement, une grande stabilité des prescriptions et la pénétration constante liée au marketing des PG3 sur le marché malgré leur non remboursement (sauf varnoline et génériques)

Voici l'évolution des prescriptions de PG2 selon les MG et les spécialistes : là aussi, on constate une grande stabilité.

Evolution des prescriptions de PG2 selon MG et spécialistes


 Pour ce qui est des PG3 on se rend compte que dix fois moins de spécialistes (7000) prescrivent plus de PG3 que 70 000 médecins généralistes !


Evolution des prescriptions de PG3 selon MG et spécialistes

Mais, pour couronner le tout, voici l'évolution des parts de marché des PG1, PG2, PG3 et PG4 qui éclaire un peu mieux sur le glissement des prescriptions vers les PG4 (et notamment l'acétate de cyproterone à forte dose, androcur utilisé comme un bonbon), PG4 très prescrites par les spécialistes dans des indications étendues et notamment chez les jeunes femmes brunes d'origine méditerranéenne (disease mongering).

Evolution des parts de marché des différentes pilules.

En conclusion, l'ANSM plane. Elle ne lit même pas les documents de l'HAS. Elle méprise les médecins généralistes.
C'est son ignorance.

Enfin, mais c'est annexe, l'inflation des génériques avec noms de fantaisie, rend la prescription et, plus encore, le suivi de prescriptions extérieures absolument difficiles. Il serait tellement plus simple que l'on prescrive ethynil estradiol 0,03 / levonorgestrel 0,15 (Minidril, ma favorite).

Pour finir : que les femmes qui prennent des PG3 et des PG4 continuent de les prendre et aillent rapidement consulter leur médecin traitant pour qu'ils évaluent ensemble les risques et les avantages de leur contraception estro-progestative et qu'ils s'accordent pour la sécuriser (et y compris en envisageant le DIU ou autres).

HAS been ?

(Crédit photographique : Sur 20 Minutes : PHILIPPE HUGUEN AFP.COM)

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